vendredi 7 mars 2014

Tribute to the "tribu"

On the road again

Miche, croisé sur la rando du Mont Humboldt, nous avait fortement conseillé de nous rendre dans une tribu pour approcher le mode de vie mélanésien. Nous avions cela en tête mais nous attendions un bon plan. Il avait lui-même eu une expérience réussie près de Thio, chez les Ouindo. Ni une, ni deux, nous appelons Ella pour prendre rendez-vous sans vraiment savoir à quoi s'attendre d'un séjour pas comme les autres. Un vague horaire de retrouvailles est arrêté. Un lieu aussi. Nous préparons donc notre paquetage spécial de (sur)vie en brousse.

 En brousse

Nous nous rendons à la gare routière de Nouméa pour filer dans le bon bus. L'espace est rempli de mélanésiens en goguette. Nous sympathisons avec quelques uns d'entre eux. Ils connaissent Ella et nous parlent de plages splendides et de forêts perdus. Ils nous racontent aussi leur vie familiale. La conversation semble toujours avoir du mal à prendre au début, alors qu'en fait, une fois que chacun s'est tranquillement présenté, l'authenticité prend le dessus et permet des échanges réels. Nous jouons naturellement la carte de la curiosité. Et cela marche bien. Les gens se livrent facilement.

Arc-en-ciel divin
Après quelques atermoiements, nous parvenons à prendre le (rare) bus qui file vers le nord. Des étudiants et des familles ont pris place sur les banquettes arrières. Une douce ambiance règne dans ce bus. Fenêtres ouvertes, les embruns nous climatisent tout le long de la remontée de la côte, côté lagon bien sûr. Après avoir traversé Bouloupari et ses vues sur des montagnes en forme de pic, nous montons à travers un relief tourmenté. La Nouvelle-Calédonie ne porte pas ce nom par hasard. L'île est comparable à cette région d’Écosse, les tropiques en plus quand même, peuplée de collines imposantes, si chères au capitaine Cook.

Décor mural au "Kaspa"

 Au bout de deux bonnes heures, le chauffeur nous indique que nous sommes arrivés. Nous ne sommes en réalité nulle part. Un croisement entre deux routes désertes fait office de lieu de rassemblement improbable. Un pick-up nous attend, phares allumés. Trois personnes l'occupent. L'aventure va commencer. A nous la vie en tribu pour quelques jours.

Dans la rivière

Nous prenons place sur la plate forme à l'arrière. Nous nous accrochons solidement aux structures métalliques et faisons la connaissance d'Eugénie, de son regard profond (elle hausse les sourcils sans arrêt et joue en permanence de ses orbites) et de son destin calédonien (à la fin du mois, elle partira pour le nord, faire son service militaire). Elle nous parle de son oncle qui a « réussi ». Il est militaire dans le sud-ouest de la France et possède une maison pour sa famille. Ce dernier élément est décisif à ses yeux. Sans maison, dans la tradition mélanésienne, une famille n'existe pas. La conductrice, la cousine d'Eugénie, trace sa route sur une piste caillouteuse. Elle est en train d'apprendre à conduire et cela se sent. Ella la co-pilote avec tendresse.

 Sainte Sabine arrive au paradis

Le pick-up s'arrête près de cases colorées. On arrive enfin dans le royaume d'Ella. Elle l'a pertinemment surnommé « Kaspa », pour « te casse pas la tête », notre programme lors de ce séjour. Elle nous offre des cafés chauds et la conversation s'engage. Elle nous raconte sa vie entre un père tahitien et une mère mélanésienne. Elle a une fille qui n'habite plus chez elle. Définitivement, elle a un grand sens de l'hospitalité . Avec Auguste, son jovial mari, elle nous raconte qu'elle a adopté (on ne sait pas vraiment si ce mot recouvre la même acceptation pour eux que pour nous) le fils de sa fille, John, et une autre enfant, Eugénie. Lui est un rasta tropical et elle, une enfant sociable et dynamique. Auguste s'active sur son tracteur. Il s'occupe de ses taros d'eau bénis des dieux qu'il préparera pour une grande occasion, un mariage, un enterrement ou une naissance. Si nous avons tout compris, il est un des chefs de la tribu. Il a un grand sens de la jovialité. Avant le coucher du soleil, John nous accompagne jusqu'à une rivière rafraîchissante à travers un maquis tropical qu'il parcourt pieds nus, semelle amortissante intégrée directement dans la voûte plantaire. Nous évitons les écrevisses pour nous asseoir au milieu du courant. La température de l'eau est idéal. Nous sommes son féal. 

 Ligne de crête calédonienne

Sur le chemin du retour, nous apercevons une montagne qui a perdu son sommet. La terre d'un orange profond annonce un mine de nickel en exploitation, l'une des plus vieilles de Calédonie en fait. De nouveau à la maison, nous cultivons quelques tomates cerises pour le repas du soir. Nous découvrons nos baraquements en bois, nos lits à étage et la vie d'Eugénie. Ancienne miss de son village, son rapport à l'école est complexe. Elle n'est pas encouragé en cela par Ella qui lui conseille « de lâcher le crayon pour prendre plus souvent la bêche ». Elle pianote son téléphone portable, son Vini, toute la journée en écoutant du son reggae.

Veillées mélanésiennes

Sabine prépare les taros du soir. Elle vide et rappe la noix de coco avant d'en faire couler le lait sur le gratin prêt à cuire. Nous trinquons au vin rouge avec Auguste et Ella ans dansla quiétude tropicale. Elle a un tempérament artiste. Elle a peint tous les murs de ses cases. Un cheval traîne dans le champ d’à-côté. Nous admirons la fleur de frangipanier placée dans ses cheveux. 



 En plein préparation du taro-coco

Elle nous raconte sa vie à la fois douce et violente. Les manus chatoyants, ces morceaux de tissus issus du Don, flottent dans le vent du soir. Ils témoignent d'une solide implantation locale. Un hélicoptère de l'armée passe en pleine nuit, sans prévenir, au-dessus de nos têtes. Un ami d'Ella, accompagné de sa famille, fait la coutume à Auguste en offrant cigarettes, billets pacifique et manus. Nous nous couchons tôt, plus que repus de ces agapes australes.

 Groseilles des bois

Le lendemain, une journée bien active nous attend. Nous partons en pick-up pour débroussailler une parcelle appartenant à la famille. Nous slalomons à travers les arbres pour atterrir sur un espace vert bien touffu. John s'excite sur sa machine pendant que nos coupe-coupe font tomber des montagnes de végétaux. Aymeric terminera la matinée avec une main droite ampoulée comme jamais après avoir tracé, courageusement, un chemin dans le chemin. Sabine cueille des fruits des bois généreux qui seront notre dessert dominical. Ella consulte ses ignames. Les lourds bananiers annoncent une belle saison. Notre faim nous pousse à puiser dans nos réserves généreusement offertes par la nature. Le repas est pantagruélique. Il nous faudra beaucoup de volonté, après la sieste obligatoire, pour retrouver le chemin de la promenade. Nous finissons dans un bain chaud perdu sous les arbres.

 John et Aymeric en pleine cueillette

Le bus du retour, unique, passe au même carrefour isolé … à quatre heures du matin. Merci les gars pour la grasse matinée. Nous quittons Ella puis Auguste, dans la nuit noire et les aboiements des cagous. La montagne, elle, reste allumée pour les engins d'extraction qui ne s'arrêtent jamais. La vie en tribu a eu raison de nous. Nous en venons à envier une infirmière qui a passé plusieurs mois avec Ella, retrouvant une douceur de vivre qu'à jamais, le monde moderne sera dans l'incapacité d'offrir. 

 Coco Sab en plein action

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