jeudi 10 octobre 2013

Maupiti express

Interloquée, la vendeuse des billets du Maupiti express nous observe avec de grands yeux ébahis : « Une semaine à Maupiti ? C'est petit là-bas. Vous allez vous ennuyer ! ». Son étonnement nous fait sourire, sachant que l'ensemble des terres immergées de la Polynésie équivaut à la moitié de la Corse.

Bienvenue à Maupiti

Sans grande hésitation, nous quittons temporairement Bora Bora, la perle touristique de Polynésie, pour sa voisine réputée plus tranquille et authentique. Nous prenons place à bord du Maupiti express, surnommé non sans raison le « vomito express», pour se lancer dans deux heures de danse acrobatique sur les vagues du Pacifique.

L'ancêtre du Maupiti express

Sur mon motu

Maupiti est composée d'une île haute, dont les arrêtes rocheuses dominent un lagon d'un bleu étourdissant, qui s'entoure d'une succession de motus, formant une couronne corallienne à fleur d'eau.

 Notre motu est au fond à gauche

C'est sur l'un d'entre eux, le motu Tiapaa, que nous amerrissons à l'aide d'une petite barque frêle et gracieuse. Notre terre d'asile est une étroite bande de sable, où les cocotiers, plantés il y a quelques années pour la culture du coprah, fleurissent sans peine profitant de la réverbération d'une mer translucide. 

 Sunset 

Quelques pensions bordent le rivage et de nombreux chiens gravitent autour des visiteurs. La notre en accueille pas moins de cinq (au grand plaisir d'Aymeric), la plupart étant dans un état piteux. Nombreux d'entre eux sont abandonnés à leur sort ; un seul vétérinaire est basé à Bora Bora et reçoit la visite de ses animaux patients par bateau. 

 Un motu ne se quitte qu'en bateau

Notre îlot est dépourvu de tout magasin et toute infrastructure. L'eau, soit des sous-sols avec son goût saumâtre soit les gouttes de pluie récoltée en saison, est rationnée. Nous vivons en autarcie, se déplaçant uniquement en barque ou en kayak, au rythme du soleil, le hamac bercé par le vent. Le paradis n'est décidément pas loin.

Portrait gauguinesque
La pension Rose des îles

Béatrice, belle-fille du propriétaire, nous accueille à sa façon, énergique et directive tandis que Sikki, son compagnon, nous adresse, entre deux mots de français hésitant, un sourire radieux où ses deux dernières dents se battent en duel. La mère de Béatrice, après une vie en métropole, tombe amoureuse, et du pays, et d'Arreti, le projectionniste de Maupiti. Le soir de leur rencontre, Arreti, ému, se trompera sans arrêt dans la projection du film, provoquant l’hilarité de tous les spectateurs. Après le décès de sa mère, la fille perpétue son mode de vie, s'échinant à entretenir ce jardin d'éden en distribuant ordres et contre-ordres.

 Sikki et Béatrice, un couple très rose

Gérard, notamment, subit avec zen et décontraction cet assaut tourbillonnant et perpétuel. En stage et fin de carrière de la fonction publique (entre autre dans les RH), il réalise enfin son rêve de vivre en Polynésie, peaufinant jour après jour son projet d'installation. Il apporte une aide précieuse et une douce humanité dans cet endroit de rêve. Merci à toi, Gérard, pour avoir pris soin de ratisser le sable soir et matin au pied de notre tente. 

 Sikki et Gérard à pieds d’œuvre

Cela n'évitera pas une tragique chute de noix de coco sur notre tente, lovée sous une rangée de cocotiers. Les armatures se casseront sous le choc. Toute la fine équipe essayera de nous rafistoler notre reste de maisonnée avec les bouts d'un tuyau d'arrosage. Celle-ci se redressera cahin caha adoptant désormais une forme poli-trapeozidale. 

 
Piège à poissons

La pension accueille deux fare rustiques au prix du luxe, entourés de fleurs d'hibiscus, de Tiaré et de frangipaniers. 
 
Fleur de Paradis

L'un des bungalow accueille Laura et Adrien, un adorable couple parisien. Après un mariage de rêve orchestré de main de maître, ils sont en voyage de noces en Polynésie (Adrien acceptant d'abandonner temporairement sa planche de surf). Un séjour un peu tronqué, nous raconte Laura, car Adrien, s'apercevant au dernier moment que son passeport n'était pas biométrique, a du refaire ce dernier d'urgence, les obligeant à annuler par deux fois leur avion (Laura, au bord de la crise de nerf, faisant retarder l'embarquement pour voir arriver son prince, bredouille). La troisième tentative sera la bonne. 
 
Laura et Adrien en pleine chorégraphie

Jérémy, le dernier arrivé, est venu rendre visite à Béatrice, son ex-belle mère. C'est son premier voyage et il tape fort, directement de l'autre côté du globe. Sa famille est aux aguets des nouvelles de son aventurier du bout du monde.

Aymeric a pris ses marques

Nous vivons ensemble dans une ambiance familiale, sauf pour les repas que nous préparons nous-même, à base de merguez pendant une semaine, dont l'odeur aura fait saliver le reste de la pension abonnée aux poissons des mers du sud.
Pêche du jour
Les beautés et dangers de la mer

Dès le premier jour, Sikki, conduisant notre embarcation, aperçoit des raies manta. Il nous ordonne de sauter à mer immédiatement. Ni une ni deux, nous nous précipitons à l'eau sans maillot de bain. Le courant est tellement fort que Sabine gesticule dans tous les sens sans pouvoir avancer. Elle aura aussi les plus grande peine du monde à remonter sur la barque. Mais, le spectacle des raies manta en vaut la chandelle. De trois à quatre mètre d'envergure, celles-ci semblent déployer leurs ailes pour un éblouissant ballet sous-marin.

Raie manta

Néanmoins, le lagon, si idyllique, n'est pas sans danger. Nous apprendrons, à nos dépends, l'existence du dangereux poisson pierre, le nohu. Sabine, en pleine discussion avec Laura, assise à quelque mètres du rivage, ressent, soudain, une profonde décharge électrique dans la main. Deux points rouges se dessinent nettement sur sa paume. « C'est le poisson pierre !». Sabine parvient à extraire l'animal hideux, qui prend la forme et les couleurs d'une pierre sablée. Ce dernier est censé provoquer une piqûre mortelle, assimilable au venin d'un cobra. C'est la panique ! « Il faut un choc thermique », disent les uns. Sabine s'empresse de mettre la main dans le congélateur, avant d'apprendre, après quelques minutes de froid intense, que c'est avec l'eau brûlante (et non le froid glacial) que l'on stoppe la propagation du venin.

Le poisson pierre après avoir été assommé par Sikki

Nous nous rendons en urgence au dispensaire situé sur l'île principale. La médecin, installée depuis peu après avoir pratiqué aux urgences parisiennes, inspecte avec quiétude la blessure, peu grave en rapport au référentiel des polynésiens (heureusement le spécimen n'était qu'un bébé). Quelques antibiotiques et deux jours plus tard, la main enflée dégonflera. Ouf sauvée ! Nous ne quitterons désormais plus les chaussures de mer que nous ont laissées généreusement Laura et Adrien.

 Plage au bout du motu

Sur l'île haute

Devenus fervents adeptes de la messe dominicale (et oui, comme quoi, tout arrive!), nous ne manquerions pour rien au monde l'office du dimanche matin. Et, on nous le rend bien ! Nous sommes reçus en véritables VIP. Assis d'office au premier rang, enguirlandés de colliers de fleurs embaumantes, nous avons même droit à un traducteur (l'homélie se fait en tahitien) et au mot d'accueil chaleureux du pasteur. Très vite, nous sommes emportés par la beauté des chants observant par-delà les vitraux les reflets bleus du lagon. 

 Sabine de retour de la messe, les bras chargés de Tiaré Tahiti 

La mairie affiche des photos magnifiques du Maupiti d'autrefois, où le mode de vie n'a pas tant changé. Le maire a réuni, aujourd'hui, ses concitoyens pour appeler à la récolte de coquillages pour un riche collectionneur chinois de passage.
Vahinée éternelle

Nous grimpons en haut du pic rocheux qui domine les environs. Le chemin est très abrupt, affublé de plusieurs cordes, pour gravir les quelques mètres qui nous séparent du sommet. La vue est splendide ! 

Dégradé infini de bleus

Nous ne pourrons malheureusement pas continuer plus loin, les sentiers n'étant pas défrichés. Dommage que la Polynésie ne se soit pas tournée vers le tourisme vert, pourtant, plein de potentiel ! Les randonnées, ici, sont uniquement sous-marines pour le plus grand bonheur des plongeurs (ne remuons pas le couteau dans la plaie).

 Sabine à l'assaut des sommets

Notre tour de l'île s'arrête devant une maison faite de corail. Le facteur cheval n'est autre que le célèbre chanteur polynésien, Akhi Firuu. Il nous ouvre grand les portes de sa demeure, construite de ses propres mains, mélangeant ciment, sable et coquillages. D'une gentillesse désarmante. il nous invite chez lui, où trône en maîtresse des lieux, sa méharée, peinte en verte, où il a tourné son clip « en compagnie de miss tahiti », nous apprend-t-il avec fierté. 

 Héraldique tahitienne

Nous avons droit, en live, avec un ukulélé de poche, à tous ses tubes, où il jongle à merveille avec la musicalité du français et du tahitien. Nous ne nous lassons pas d'écouter cette star locale, à qui il ne reste que les souvenirs et sa dizaine de CD usée par le temps, qu'il conserve comme un trésor.

 Quand deux stars se rencontrent

Il vit de pêche, de noix de coco (nous offrant chapeau et panier de feuille de cocotier qu'il confectionne en un temps record de deux minutes) et de chansons, qu'il compose le soir face à son feu de bois. La poésie de l'île l'inspire. Nous repartons émus par cette existence d'une si belle simplicité.

 Plage abandonnée

Nous retournerons sur l'île haute jusqu'à la plage de Teirea, à partir de laquelle il est possible de traverser le lagon à pied pour rejoindre un motu. L'eau est d'une limpidité lumineuse. Nous marchons, ainsi, à fleur d'eau, égarés entre ciel et mer, au-delà du temps et de l'espace.

Larguons les amarres ?

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